Cosmétiques pour bébés: Imbroglio autour d’un conservateur
L’Agence de sécurité sanitaire des produits de santé (ANSM) vient de prendre une décision qui se veut protectrice des tout-petits à propos d’un conservateur, le phénoxyéthanol, mais la résistance est vive du côté des industriels. Pour les parents, notre appli QuelCosmetic reste le meilleur moyen d’y voir clair.
On n’a pas fini d’entendre parler du phénoxyéthanol. Ce conservateur très utilisé dans divers produits cosmétiques (plus de 50 000 sur les 164 000 de notre base de données et notre application QuelCosmetic) fait l’objet d’une bataille d’experts depuis des années entre l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et le Comité d’experts européens (SCCS, Comité scientifique pour la sécurité des consommateurs). Aujourd’hui, l’ANSM a décidé de ne plus se contenter de « recommandations », elle prend une mesure de police sanitaire qui s’impose aux fabricants. Et ça rue dans les brancards.
L’ANSM avance une exposition réelle au phénoxyéthanol supérieure aux estimations
La polémique dure depuis 2012. Cette année-là, l’ANSM rend un avis sur le phénoxyéthanol, attirant l’attention sur le cas particulier des produits destinés aux bébés. Considérant leur fragilité particulière, l’agence estime que la teneur maximale fixée par la réglementation (1 % de phénoxyéthanol dans le produit) ne suffit pas à protéger les tout-petits des éventuels effets toxiques pour le foie et le sang du conservateur. Elle recommande en particulier de l’exclure des produits destinés au siège (lingettes, crèmes pour le change, etc.) compte tenu de leur fréquence d’utilisation. Cette recommandation n’a cependant aucune valeur contraignante, si bien que de nombreux fabricants continuent à utiliser du phénoxyéthanol sans en tenir compte, d’autant que le SCCS, de son côté, conclut en 2016 que la dose maximale de 1 % est sûre. Au vu de cet avis, l’ANSM s’empare à nouveau du dossier. L’an dernier, se basant sur une étude inédite sur l’exposition des Français, notamment des enfants, aux produits cosmétiques, elle confirme sa recommandation de bannir le phénoxyéthanol des produits destinés au siège des bébés. Elle évoque aussi le fait que certains produits pas spécialement destinés aux tout-petits sont tout de même utilisés lors des soins prodigués par les parents : lingettes pour adultes, crèmes hydratantes, etc.
D’où la décision prise le 20 mars : les produits non rincés, « spécial bébés » ou non, contenant du phénoxyéthanol doivent désormais porter une mention selon laquelle ils ne peuvent être utilisés sur le siège des enfants de moins de 3 ans. Les fabricants ont théoriquement neuf mois pour se mettre en conformité. Sauf que, pour compliquer un peu le dossier, une telle mesure doit règlementairement être communiquée à la Commission européenne, qui doit interroger le SCCS pour savoir si elle est scientifiquement justifiée ou pas. Si les experts européens approuvent leurs homologues français, la mesure sera étendue à toute l’Union européenne, s’ils les contredisent, elle sera abrogée.
Une décision fortement contestée par les industriels
Autant dire que pas un fabricant ne se sent obligé de respecter la décision de l’ANSM. Chez Cosmed, organisme représentant les PME du secteur, on conteste la représentativité de l’étude d’exposition. De plus, une mesure de police sanitaire ne peut théoriquement être prise qu’en cas de « risque grave pour la santé humaine ». « On ose croire que s’il y avait un risque grave, les autorités ne se seraient pas contentées d’une mesure d’étiquetage, plaide Jean-Marc Giroux, président de Cosmed. Elles auraient interdit le phénoxyéthanol dans les produits destinés au siège des bébés. » De fait, la situation semble ubuesque : l’ANSM laisse le droit aux fabricants d’utiliser ce conservateur dans des lingettes spécial change, à condition d’indiquer qu’elles ne peuvent pas être utilisées pour cet usage ! Autre absurdité pointée par Cosmed : l’Agence demande l’étiquetage de tous les produits non rincés à l’exception des déodorants, des produits de coiffage et du maquillage qui, à l’évidence, ne seront jamais utilisés sur les fesses d’un tout-petit. Mais elle oublie d’ajouter aux exemptions bien d’autres produits du même ordre : crèmes antirides, autobronzants, crèmes de massage pour les pieds, antivergetures, etc., les exemples sont légion. Même type de remarques du côté de la Febea, organisme qui regroupe les poids lourds du secteur. Anne Dux, sa directrice des affaires scientifiques et réglementaires, conteste en outre l’interprétation des études toxicologiques faites par l’ANSM. Elle assure également qu’en réduisant le panel de conservateurs à disposition des industriels, les risques de résistance des bactéries aux substances restantes augmentent, ainsi que les risques d’allergie. Enfin, elle conteste la validité juridique de la décision de l’ANSM, si bien que l’organisme a décidé de demander son annulation au Conseil d’État.
Quelle attitude adopter si vous avez un tout-petit ? Utilisez pour le change un liniment ou autre produit lavant et rincez-le si possible, même s’il est indiqué que ce n’est pas nécessaire. Et bien sûr, pour choisir un produit sans phénoxyéthanol, utilisez notre appli QuelCosmetic. L’avis de l’ANSM étant plus protecteur que celui du SCCS, nous avons pris le parti de le suivre : si ce conservateur ne fait pas partie des produits que nous déconseillons pour le reste de la population, il vaut mieux l’éviter pour les moins de 3 ans.